Criar um Site Grátis Fantástico
Streaming A l'ouest du Jourdain QHD

"A l’ouest du Jourdain": Amos Gitaï nostalgique de la paix

Le cinéaste présente à Cannes son dernier film, consacré aux relations israélo-palestiniennes, aujourd’hui dans l’impasse. Amos Gitaï garde pourtant encore des raisons d’espérer.

Paris Match. Il y a dans “A l’ouest du Jourdain” la nostalgie d’un processus de paix enterré …
Amos Gitaï. C’est avant tout un constat sur ce qui se passe sur le terrain et sur l’évolution des esprits. L’argent, la gloire, la renommée et les mitraillettes ne sont pas les seules à pouvoir faire bouger le monde. Face à l’émergence de leaders autoritaires et narcissiques comme Erdogan, Poutine, Trump ou encore Netanyahou, on assiste à une mutation de la résistance pacifique. Ce film parle d’une réponse possible. Celle, émouvante, de gens qui n’ont plus le pouvoir mais auxquels il reste un idéal, une opinion qui les pousse à agir, quels que soient les risques, les conséquences, les insultes qu’on ne manque pas de leur cracher à la face. Quand j’ai démarré ce projet, j’ai dit aux producteurs. “Si vous attendez un film où tous les Palestiniens sont des terroristes et tous les Israéliens des salauds de colons, ne comptez pas sur moi.” Je vais aller chercher les fissures dans le mur. Oui, l’horizon est noir, mais il faut penser à la prochaine étape. Peut-être faudra-t-il du temps avant d’y parvenir, mais certains y travaillent, refusant la déshumanisation de part et d’autre. Et cette seule énergie rend envisageable un futur commun.

L’esprit pionnier d’Israël est-il mort ?
Cet esprit franc des origines, cette forme d’honnêteté intellectuelle que l’on trouvait chez Rabin survit tant bien que mal. Nous avons connu trois vagues successives de dirigeants. Ceux issus de la diaspora, Ben Gourion, Eshkol, Golda Meir, Begin, puis les pionniers Rabin et Sharon qui ont vu naître ce pays et n’ont connu que des frontières mouvantes, ce qui fait qu’ils n’avaient pas une idée figée sur la question. Puis leur ont succédé Barak, Olmert et aujourd’hui Netanyahou, qui ont grandi dans un Israël fort, doté d’avions de chasse, de chars et de lobbys puissants. Ceux-là ont perdu la notion de fragilité de l’existence juive. C’est dangereux, parce que, quoi qu’ils en pensent, cette existence demeure précaire, et que toute forme d’arrogance israélienne reste mal interprétée.

Vous êtes très dur à l’égard du régime israélien actuel…
Au lieu d’ouvrir la voie comme autrefois Rabin l’a fait, le gouvernement actuel, le plus à droite qu’Israël ait jamais connu, la ferme, emplissant l’espace de sa paranoïa. Il cause beaucoup de dommages, y compris au sein de la société israélienne. Ce pays trouve sa justification dans son esprit d’ouverture. Nous ne pouvons pas avoir un ministre de l’Education qui interdit l’enseignement des poèmes de Mahmoud Darwich. Il faut que les jeunes Israéliens sachent ce que pensent les jeunes Palestiniens. Cela ne fera pas d’eux des convertis mais les aidera à comprendre leurs sentiments. Je suis inquiet de voir que le seul théâtre arabe de ma ville natale de Haïfa est fermé parce que le ministre de la Culture n’aime pas les spectacles qu’on y produisait. Je suis préoccupé par les restrictions sur les aides au cinéma, sur la façon dont la presse est manipulée, malmenée…

Pourquoi ne voit-on pas Ă©merger une opposition politique digne de ce nom ?
Netanyahou est doué. Par le jeu des alliances et de la proportionnelle, il a réussi à écraser toute alternative à l’intérieur de son parti mais aussi dans l’opposition.

Vous restez néanmoins optimiste ?
Il y a trente-cinq ans, dans l’un de mes premiers films, “Journal de campagne”, j’avais posé cette question à Bassam Shakaa, maire palestinien de Naplouse. Il m’avait répondu très à propos. “Nous ne pouvons pas nous permettre d’être pessimistes.” Même si la coalition la plus stable du Moyen-Orient est celle de gens qui ne veulent pas la paix, il faut espérer un changement de cap. L’espoir est notre seul moteur. Et même si ce n’est que l’idée de l’espoir, c’est un bon début.

« A l’ouest du Jourdain », présenté le 21 mai à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes.

Toute reproduction interdite